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L’école à l’examen (8/8)

Décrochage scolaire, formation des enseignants, besoins éducatifs de la société québécoise : le quotidien Le Devoir se penche sur ces questions dans une série de 8 textes intitulée L’école à l’examen, publiée du 23 novembre au 1er décembre 2016.

Le dossier s’ouvre avec le professeur Claude Lessard, ex-président du Conseil supérieur de l’éducation dans une entrevue intitulée «Notre système ressemble à un gros millefeuille», dont voici un extrait :

«Comme ministre, je ferais donc de la réduction des écarts de qualité entre les écoles ma priorité, et je chercherais des moyens efficaces pour augmenter la mixité sociale et scolaire. […] J’articulerais aussi à cette priorité une stratégie d’alphabétisation des adultes, car ces adultes ont des enfants… […] Si l’éducation demeure le meilleur investissement que peut faire une société dans son avenir, au-delà du niveau de ressources nécessaires, il y a aussi leur allocation aux bonnes priorités, ainsi que l’organisation du travail des professionnels de l’éducation qui sont importantes. […] Je propose que l’on explore la possibilité de mettre sur pied au cégep un programme préuniversitaire de culture générale pour les futurs enseignants ; je n’en ferais pas la seule voie d’accès à la formation des maîtres universitaires, mais je l’offrirais à celles et ceux qui voudraient élargir leur culture générale avant de commencer une formation universitaire spécialisée. Cela serait utile, notamment mais pas exclusivement, pour les futurs enseignants du primaire. À l’université, j’offrirais des baccalauréats bidisciplinaires de trois ans, complétés par une maîtrise professionnelle de 45 crédits et pouvant être réussie en un an à temps plein, construite en étroite collaboration avec les commissions scolaires et essentiellement vécue sur le mode de l’alternance. […] Je m’assurerais à toutes les étapes de ce continuum — fin du cégep, fin du baccalauréat et fin de la maîtrise — que les futurs enseignants maîtrisent à l’oral comme à l’écrit la langue d’enseignement. N’oublions pas qu’un enseignant parle constamment en classe ; son efficacité pédagogique est liée à la qualité de la langue qu’il utilise en classe. Ces exigences relevées vont de pair avec une rémunération et une autonomie professionnelles plus grandes. La qualité des maîtres est la variable la plus importante en éducation. Plus ils seront compétents, moins on aura à se soucier de systèmes, de dispositifs et de programmes pour les surveiller et pour réguler leur enseignement.»

Le deuxième article, intitulé «Les réformes, je n’en peux plus», exprime le point de vue de madame Françoise Marton Marceau, ex-directrice d’école. On peut y lire ceci :

«Je favoriserais une vraie autonomie des écoles, y compris pour l’embauche des enseignants par la direction et les conseils d’établissement. Il faut hausser les salaires des enseignants. Ils sont sous-payés. Et si on donne de l’autonomie aux écoles, elles devraient être mieux gérables. […] En plus, j’abolirais tous les examens d’entrée à toutes les écoles, publiques ou privées. Je réserverais les examens d’évaluation pour les fins de parcours du primaire et du secondaire. […] Et puis, j’accorderais une attention à l’architecture des écoles et à l’aménagement des classes. Il est important que les enfants soient plus en contact avec la nature et qu’ils évoluent dans des classes mieux adaptées aux nouvelles pratiques pédagogiques. […] Je pense surtout qu’il devient essentiel de développer une sélection autour des habiletés à avoir comme enseignant. Il faut par exemple examiner la capacité créatrice, mais aussi les habiletés à communiquer, à travailler en équipe, à être empathique. […] Je favorise une année complète auprès d’un mentor. Je crois beaucoup au mentorat dans mon métier. Je mentionne un dernier point de la formation qui concerne la culture et l’ouverture à la culture. […] Mais d’après moi, on ne peut réduire les problèmes du système au seul manque de ressources. Il y a aussi le manque de temps pour réfléchir collectivement sur l’école. Il faut donner du temps aux enseignants, aux professionnels, aux directions pour réfléchir ensemble à ce qu’ils font ensemble. Une école n’est valable que si elle demeure cohérente dans son système.»

Le troisième texte intitulé «On emploie des enseignants, pas des robots» est une entrevue avec madame Margarida Romero, spécialiste de l’intégration des technologies en éducation. Elle déclare :

«[Il faudrait] donner le goût et de développer la culture de l’innovation à l’ensemble des acteurs éducatifs. […] Il faut aimer innover, changer la recette, faire des essais, collaborer avec d’autres personnes, s’enrichir par du réseautage, s’ouvrir pour pouvoir intégrer les aspects de nouveautés. […] Il faut repenser l’école pour que les enseignants, les parents puissent développer des projets qui fassent sens dans leur contexte. Qui soient pertinents et propres à chaque école. Que chacun ait le goût d’innover en tenant compte de sa communauté et ses spécificités. […] Je pense qu’il faut redonner, à un niveau plus local, l’occasion d’aller beaucoup plus loin dans leurs idées, dans leurs projets et aussi dans la diversité. […] Les journées pédagogiques, c’est quelque chose qui n’existe pas ailleurs. Il y a des enseignants qui ne prennent pas ça assez au sérieux et ne les utilisent pas à leur juste valeur. Il y a plein, plein de ressources. [La formation des maitres] est encore dans une approche trop disciplinaire. On forme d’une manière trop traditionnelle. Ça fait en sorte que le goût pour l’innovation n’est pas assez développé chez les enseignants. […] Il faut leur dire que ce n’était que l’épisode initial, que maintenant, on espère qu’ils continuent à se former.»

La série se poursuit avec une entrevue tenue avec avec Michelle Sarrazin, directrice des services pédagogiques au Collège Jean-Eudes, dans ce quatrième texte intitulé Les examens «responsables d’une bonne partie du décrochage scolaire» :

«Développer des méthodes de travail efficaces, exercer son jugement critique, coopérer, communiquer de façon appropriée, mettre en oeuvre sa pensée créatrice, résoudre des problèmes et exploiter les technologies de l’information et de la communication : voilà nos véritables compétences transversales ! […] Sans l’ombre d’un doute, il faudra, par exemple, donner les moyens aux écoles de faire le virage numérique, qui ouvre l’esprit des jeunes à toutes les possibilités, qui les met en action et qui leur donne prise sur le monde, sur leur monde. Surtout, il faut accompagner les directions d’école et les enseignants pour qu’ils s’engagent, résolument, dans leur formation continue, qu’ils soient toujours à la fine pointe de la recherche en éducation, des nouvelles approches pédagogiques, des nouveaux outils à leur disposition. […] Ce qu’il faut, surtout, c’est se donner les moyens d’attirer les meilleurs candidats aux postes d’enseignement : des jeunes gens cultivés, curieux, articulés… Et faire la sélection à la base, comme pour les médecins ! Après tout, les enseignants contribuent à former les esprits ! Et devant tous les défis éthiques, philosophiques, politiques, scientifiques et autres qui attendent l’humanité, nous aurons besoin des meilleurs ! Il faut redonner à l’éducation la place qui lui revient.»

Le cinquième texte est une entrevue avec Normand Baillargeon intitulée «Je ne peux m’empêcher de rappeler le travail de la commission Parent», dont voici un extrait :

«Sans hésiter, ce serait de mettre sur pied ce que j’appellerais une commission Parent 2.0. […] Son mandat serait d’abord de combler cette carence conceptuelle, je veux dire philosophique et normative, qui est la nôtre 50 ans après Parent et après le détournement des États généraux du milieu des années 90. Pour cela, il lui reviendrait d’abord de préciser ce que collectivement nous entendons être l’éducation et les fins qu’elle doit servir. Son mandat serait ensuite de dresser un état des lieux à la lumière de ces finalités. […] Le fait que notre système d’éducation se soit voulu public, une réalité qui est aujourd’hui menacée, est sans aucun doute à préserver et à enrichir. De même, partout où il subsiste, cet idéal d’éducation entendu comme mise en contact avec des savoirs fondamentaux dans le but de rendre une personne autonome et de la préparer à l’exercice d’une véritable citoyenneté par laquelle chacun est un gouvernant en puissance, cela aussi me semble un autre acquis crucial et à préserver. Mais il est lui aussi menacé, à preuve ces attaques contre la formation générale au cégep et, plus généralement, une certaine tendance à l’instrumentalisation de l’éducation. Sur le plan des institutions léguées par Parent, les cégeps et les universités du Québec me semblent, eux aussi, des acquis infiniment précieux. […] [Enseigner] n’est pas seulement un métier ou une profession : c’est une vocation la plus noble qui soit, ceci en raison de la forte portée normative de cette activité. Nous devons aux personnes qui l’exerceront une formation de la plus haute qualité qui soit, avant de leur devoir une reconnaissance collective à la hauteur de leur tâche, laquelle s’exprimera aussi par des conditions de travail enviables. […] Mais ce souhait, comme les autres que j’exprime ici et à commencer par celui d’une commission Parent 2.0, rien de tout cela ne sera possible sans une forte demande du public.»

L’article suivant, le sixième, est une entrevue avec le sociogéographe Michel Perron, de l’UQAR, qui est aussi membre fondateur du Groupe d’action sur la persévérance et la réussite scolaire du Québec. Le texte a pour titre «Le Québec a besoin d’une véritable politique nationale en éducation». Voici des extraits :

«Les deux mots qui seraient au coeur de mon discours, ce serait territoire et conditions de vie des élèves. Un virage doit être pris pour que le système d’éducation soit moins bureaucratique et plus adapté, mais surtout plus adaptable aux réalités territoriales. Le Québec, c’est un immense territoire avec des fractures sociales, économiques, culturelles et territoriales dont on ne tient pas beaucoup compte en éducation. Les besoins diffèrent d’une région à l’autre, mais également d’un quartier à l’autre, surtout dans les milieux urbains. De ce mandat principal, je ferais deux chantiers : d’abord revoir le mode d’allocation des ressources pour tenir compte des réalités de terrain comme on le fait dans le domaine de la santé par exemple, et  donner plus de pouvoir aux écoles et plus d’autonomie aux chefs d’établissements. Il faut mettre fin à la vision électoraliste et à court terme que nous avons depuis vingt ans. Depuis 1996, je crois que j’ai rencontré les 19 ministres de l’Éducation qui se sont succédé. Le Québec a besoin d’une véritable politique nationale en éducation. Je comprends que ce que le ministre fait, c’est un pas dans la bonne direction [mais] il faut que ça s’inscrive dans une démarche plus large. Avec le groupe d’action sur la persévérance scolaire, on travaille justement à lancer une politique nationale en éducation au Québec, une politique élaborée sans partisanerie politique et proposée par la société civile avec l’appui de tout le milieu. […] Enfin, dans les travaux récents, on s’aperçoit que la distance au cégep le plus proche est aussi un facteur de diplomation au secondaire. Quand les élèves savent qu’il y a un cégep près de chez eux, ça les encourage à poursuivre leurs études. C’est une preuve de plus, s’il en fallait une, qu’il faut absolument que notre réseau des cégeps soit maintenu. [Il] faut travailler sur la formation continue des professeurs parce que les connaissances avancent rapidement. Il faut absolument permettre aux professeurs de se renouveler pour pouvoir innover, ce qui suppose des mécanismes avec du financement. Il faudrait également favoriser le mentorat pour les professeurs du primaire jusqu’à l’université. […] Beaucoup de jeunes professeurs découvrent la complexité des conditions de vie des élèves quand ils arrivent sur le marché du travail, et là, il y a un choc culturel.»

La septième entrevue est réalisée avec Mathieu Côté-Desjardins, ancien enseignant au primaire. L’article est intilulé «L’éducation comme un moteur de société». En voici quelques extraits :

«[Il faut] démontrer simplement et efficacement la mystification qui s’est faite par le ministère de « la déséducation » depuis les dernières décennies. […] J’engagerais l’ancien professeur Pierre Demers, qui est l’auteur d’une série en quatre tomes sur l’éducation humanisante. Il propose d’utiliser l’éducation comme un moteur de société. Il explique comment bâtir du sens nous ramène à la racine de ce qu’est « éduquer » pour avoir un impact autant dans la famille que dans la société. Il faudrait en outre complètement revoir la formation des maîtres. […] Peu importe la quantité d’argent lancée au problème, tant qu’on ne retourne pas à la racine de ce qu’est « éduquer », on ne peut rien vraiment accomplir qui vaille quelconque mention. Je parle, par exemple, de retrouver une sensibilité pour l’enfance, sur ce que cela signifie pour la vie et l’importance de la vivre pleinement, de préserver à tout prix la capacité d’émerveillement des enfants, de donner tout l’oxygène nécessaire à la créativité et à l’imaginaire des jeunes, ou encore de cesser ce génocide de « génies » dans les écoles, etc. […] D’abord, un système de sélection sur la base de notes scolaires ne devrait même pas être considéré, ni même être perçu comme novateur. Au contraire, il s’agit d’un moyen on ne peut plus obsolète, tout comme son diplôme qui suivra, ce qui laisse passer entre ses mailles beaucoup… beaucoup trop d’individus n’étant point dignes d’être en contact avec des jeunes. […] De plus, il faut s’assurer que le système favorise les « maîtres » ayant un grand sens critique, tout en ayant une d’ouverture d’esprit considérable. Ces deux axes sont primordiaux. Actuellement, le système scolaire nourrit, entretient et protège le contraire, et ce, à tous les niveaux.»

La dernière rencontre a lieu avec Lise Bisonnette, ancienne directrice du journal le Devoir et fondatrice de la Grande bibliothèque, dans un article intitulé «Pour arriver à une compréhension du monde», où l’on peut lire les extraits suivants :

«Nul ne devrait être admissible au titre de ministre de l’Éducation sans pouvoir, à huis clos et sans aide, exprimer sa conception de la lutte contre l’ignorance contemporaine. […] Nous avons ainsi obtenu, sans tableau blanc, une leçon magistrale pour ministre : l’éducation n’est pas un simple outil de développement économique et d’accès à l’emploi, elle devrait être une démarche pour arriver à une compréhension du monde, de son histoire, de son présent et de sa destination. Et nul ne devrait être admissible au titre de ministre de l’Éducation sans vouloir proposer ou imposer à son gouvernement l’obligation première de reconnaître formellement qu’on éduque pour éclairer, et non pour fournir du travail de cadre ou d’ouvrier dans une cimenterie soumise aux aléas du libre-échange avec les États-Unis. […] Quand on accepte la charge de gouverner, ce n’est pas pour faire arriver les trains à l’heure ou, en éducation, pour obtenir des résultats présentables aux tests internationaux. La raison d’être de l’État, c’est d’empêcher la loi du plus fort de régir la vie en société. Nous naissons tous égaux, certes, mais les inégalités s’installent dès notre premier souffle. Le système d’éducation est la première ligne de résistance à cette adversité, qui n’est pas une fatalité. […] La tâche de l’école n’est pas d’abord de multiplier les sorties en vue de former les futurs consommateurs de produits culturels, comme le réclame un milieu associatif affamé. Elle est de donner accès, d’offrir en propriété, les références culturelles, scientifiques, historiques qui permettront à chacun de penser sans recourir au téléphone. […] L’éducation devrait être la première dépense de l’État, la santé accapare tout faute d’éducation. Efficacement socialisés par le langage de la rigueur et de l’austérité, nous cherchons pourtant à éloigner de nous le calice de la dépense et, dociles, à nous prescrire de faire mieux sans avoir plus. En attendant un revirement improbable de l’ordre des priorités, il faut dénoncer les ravages scandaleux de la pingrerie durable.

Guy Rocher appelle à une profonde réforme en éducation

Le sociologue Guy Rocher, ex-membre de la commission Parent, réagit au rapport du Conseil supérieur de l’éducation. Dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien Le Devoir, intitulée «Une profonde réforme s’impose en éducation», on peut lire :

«Le CSE est-il trop critique ? En demande-t-il trop ? Je ne le crois pas, au contraire, des enseignants se sont déjà engagés sur cette voie, et d’autres attendent qu’on les y invite. De toute façon, par définition, un virage pédagogique ne se fait pas sans les enseignants, encore moins contre eux. Il faut plutôt qu’ils soient associés à sa conception comme à sa réalisation. Ce sont plutôt des valeurs d’équité et de justice auxquelles il faut revenir, pour contrer un climat généralisé dans la société d’aujourd’hui de marchandisation et de consommation de l’éducation, comme tout le reste.»

M. Rocher conclut : «Il faudrait donc que de nombreux enseignants et beaucoup de parents aient en main cet important Rapport 2015-2016 du Conseil supérieur de l’éducation».

L’éducation, un bien commun ?

Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, estime que

«l’éducation doit enseigner comment vivre sur une planète sous pression. Elle doit viser l’alphabétisation culturelle, sur la base du respect et d’une dignité égale pour tous, et contribuer à tisser ensemble les dimensions sociale, économique et environnementale du développement durable.»

C’est dans cette optique de développement que

«l’éducation et le savoir doivent être considérés comme des biens communs mondiaux. Cela signifie que la création des connaissances, leur contrôle, acquisition, validation et utilisation sont communs à tous les êtres humains en tant qu’effort collectif social. La gouvernance de l’éducation ne peut plus être séparée de la gouvernance du savoir.»

Voilà les principaux enjeux que pose l’UNESCO dans le document «Repenser l’éducation; vers un bien commun mondial?». Cette réflexion pose d’importantes questions sur les enjeux de l’éducation au XXIe siècle. Dans le contexte actuel, où les sociétés sont en pleine transformation, quels sont nos besoins et quelles devraient être les finalités de l’éducation? Comment celle-ci devrait-elle être organisée?

Il s’agit de notre avenir commun. Et l’avenir commence ici maintenant. Localement, dans notre cégep, comment peut-on faire valoir et protéger ce bien commun et comment peut-il être organisé? Voilà un important chantier qui mérite d’être entrepris.

Rapport du Conseil supérieur de l’éducation : la justice sociale en péril

Le Conseil supérieur de l’éducation a remis au ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, M. Sébastien Proulx, son Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016. Le Conseil note que

«les dérives observées mettent en péril la justice sociale à l’école et les valeurs que nous défendons collectivement. Plus particulièrement, la concurrence en éducation alimente un cercle vicieux qui mine la confiance de la population dans la classe ordinaire de l’école publique et encourage l’essor d’une école à plusieurs vitesses. Aux yeux du Conseil, le moment est donc venu de mettre la question de la justice scolaire au calendrier politique en vue de remettre le cap sur l’équité en éducation.»

Le rapport complet du Conseil est disponible en ligne, tout comme son sommaire.

 

Rendez-vous CSQ de l’éducation

Le 15 et 16 mars derniers, il y a eu à Montréal le Rendez-vous CSQ de l’éducation. Plusieurs conférenciers et conférencières étaient au rendez-vous pour nous parler de la situation de l’éducation au Québec, mais également au niveau mondial. Cette occasion était un excellent moment pour échanger à propos du système d’éducation et faire part de nos préoccupations. Je vous présente ici les deux présentations d’ouverture et un résumé des deux ateliers auxquels j’ai participé.


MARCHÉ DU TRAVAIL ET ÉCOLE INÉGALITAIRE
M. Nico Hirtt, fondateur et chargé d’études de l’organisation Appel pour une école démocratique en Belgique, nous a présenté une vision très critique de l’évolution du système éducatif en Occident en affirmant que les inégalités dans l’éducation ont augmenté en dix ans. Il a retracé l’historique de cette évolution en rappelant le discours portant sur l’importance de la démocratisation de l’éducation entre 1950 et 1980. Selon lui, 1990 a été un tournant important dans la transformation de ce message. En effet, le message ne porte plus sur l’importance de démocratiser l’éducation pour tous, mais sur l’importance de combler de particulièrement les métiers qui demandent beaucoup de qualification et ceux en demandant très peu. De plus, la défiscalisation fait en sorte que les États financent de moins en moins leurs secteurs publics ce qui a pour résultat que les écoles publiques se retrouvent en compétition entre elles. Le discours, n’est plus de viser une meilleure qualité de l’éducation et de la formation, mais bien de rendre les individus flexibles et capables de s’adapter à un marché en mouvance perpétuelle. Ceci explique pourquoi on retrouve de plus en plus des gens surqualifiés dans des emplois qui demandent peu de qualification. Pour appuyer cette affirmation, il se réfère à ce que l’OCDE a dit : « les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin ». (2001, p.30) En d’autres mots, selon lui, les inégalités dans le système d’éducation ne proviennent pas du dysfonctionnement de l’école, mais bien de sa parfaite adaptation au contexte socioéconomique actuel. L’école est le miroir de la société en quelque sorte.


LES INÉGALITÉS DANS LES ÉCOLES DE NEW YORK
M. Harmon est président du bureau régional new-yorkais de l’Association nationale pour l’avancement des gens de couleur (NAACP) et il nous a informés sur la situation du système d’éducation à New York. Premier constat alarmant, les écoles de New York sont celles où la ségrégation est la plus forte aux États-Unis. Sur le terrain, les quartiers les plus défavorisés à majorité afro-américaine côtoient les quartiers les plus favorisés à majorité blanche. Selon lui, pour briser cette ségrégation il suffirait de permettre aux jeunes des quartiers défavorisés de fréquenter les écoles des quartiers favorisés. Donc, il suffirait de bannir le code postal comme critère de sélection des élèves. M. Harmon mentionne également d’autres solutions et mis en place de nombreuses rencontrent entre les différentes communautés pour mieux comprendre leur réalité et de dénoncer la discrimination quotidienne vécue par plusieurs d’entre eux. Une idée concernant le rôle des suspensions d’élèves, car les élèves noirs sont surreprésentés à ce niveau. En effet, il y a le double de suspensions dans les écoles ayant majoritairement des élèves noirs en comparaison aux écoles ayant en majorité des élèves blancs. En ce moment, dit-il, les suspensions sont perçues comme un congé par les étudiants et ceux-ci passent plus de temps dans les rues. Ne pas être sur les bancs de l’école est un facteur décisif dans la trajectoire d’un individu qui peut l’amener à prendre de mauvaise décision et avoir des conséquences néfastes dans sa vie. M. Harmon, dans cette perspective, fait un clin d’œil à la surreprésentation des Afro-Américains dans les prisons et le fait que les prisons relèvent du privé. Sans faire un lien de causalité, il laisse planer dans son discours que les inégalités entre les écoles permettent de nourrir les prisons. Il désire mettre en place un programme éducatif où la suspension ne devient plus un congé dans la perception des jeunes, mais un outil d’éducation. Malheureusement, nous n’avons pas eu plus de détails à ce niveau, mais cette vision ouvre la porte à une belle réflexion à propos de notre propre système d’éducation.


L’ÉCOLE ET LA RÉALITÉ AUCTHONE
Cet atelier concernait la situation de l’éducation chez les Inuites (Commission scolaire Kativik) et les Cris de Québec (Commission scolaire de l’Estuaire). Sujet très d’actualité lorsqu’on regarde le terrible contexte social dans lequel évolue ces communautés. Il suffit de pensé aux viols et à la disparition des femmes autochtones ou encore le niveau élevé de suicide dans ces communautés. L’atelier s’est déroulé en deux temps. Dans un premier temps, l’invité François Beauchemin, enseignant depuis plus de 10 ans auprès des Inuites au Québec, fait un constat très pessimiste de la situation en décrivant la situation actuelle. Le décrochage est de 80,1 % dans la commission scolaire de Kativik comparativement à 17,4 % dans l’ensemble du Québec. Il mentionne qu’il peut calculer sur ces deux mains le nombre d’étudiants et d’étudiantes qui ont peu atteindre le niveau collégial et qui ont terminé depuis qu’il enseigne dans le Nord-du-Québec. Le manque de ressource dans les écoles, le manque de confiance des jeunes, la rareté de modèles positifs et significatifs dans leur entourage, le roulement du personnel, l’isolement permanent des communautés autochtones, la condition socioéconomique difficile dans laquelle vivent ces jeunes sont tous des problèmes majeurs qui ont des impacts déterminants dans leur éducation. Il mentionne également qu’il y a une grande incompréhension de la culture inuit. Par exemple, le non verbal est omniprésent dans leur culture et un enseignant qui ne connait pas la signification et surtout ne le détecte pas aura beaucoup de difficulté à s’adapter. De plus, il y a très peu d’éléments de politesse dans leur langage, car le langage sert principalement à expliquer l’usage des choses. Ce fossé culturel est souvent la cause des difficultés que vivent de part et d’autre les enseignants et les élèves. L’enseignant (e) doit être à la fois travailleur social, psychologue et un ami dans son travail auprès des jeunes. Le nombre d’années moyen d’une carrière en enseignement avec cette communauté est de 1,2 an. Cette situation fait en sorte que les élèves ont beaucoup de difficulté à s’attacher ou à se confier à eux, car ils sont persuadés que l’enseignant (e) va les abandonner après l’année. En plus de vivre sans cesse des abandons, les jeunes se sentent constamment déchirés entre leur culture d’origine et la culture nord-américaine. Vivant beaucoup de difficulté dans leur environnement social, ils doivent faire des choix déchirants. Soit aider leur famille à se nourrir ou poursuivre leur étude. Plusieurs d’entre eux doivent quitter l’école pour aller à la chasse pour subvenir aux besoins de leur famille. Ceci explique pourquoi moins de 10 % d’entre eux vont décrocher leur diplôme secondaire et que moins de 40 % vont se rendre en secondaire 5. En 3e année du primaire, la langue seconde prend beaucoup de place dans leur éducation et ils réalisent rapidement que s’ils veulent travailler plus tard, ils devront délaisser leur culture et leur langue qui ne seront d’aucune utilité en dehors de leur communauté. M. Beauchemin mentionne également que plusieurs enseignants « boost » les notes des élèves pour les encourager et les garder à l’école. Toutefois, ceci nuit beaucoup à ces élèves lorsqu’ils poursuivent leur étude postsecondaire. Il mentionne qu’au contraire, il faut garder des attentes élevées vis-à-vis d’eux et arrêter de penser qu’ils ne peuvent pas. Toutefois, ce tableau noir laisse place à quelques rayons de lumière. De beaux projets ont vu le jour dans la communauté Cri. Par exemple, le projet InnuRassemble permet à de jeunes Innus de créer en collaboration avec de jeunes Québécois des pièces de théâtre. Par l’entremise d’un projet commun porté par la culture distincte de chacun des groupes, les jeunes apprennent à mieux comprendre la réalité des autres et ainsi brisé les préjugés. L’entraide et le dialogue sont fortement valorisés ce qui permet de combattre les préjugés les uns des autres. L’élément le plus touchant dans ce type de programme concerne la culture. Ici, ce n’est pas l’éducation qui se sert de la culture, mais la culture qui vient encadrer l’éducation. Autrement dit, l’assise de ce projet n’est pas d’éduquer sur la culture de l’autre, mais bien d’éduquer par la culture de l’autre.


LES ÉCOLES DANS LES MILIEUX DÉFAVORISÉS
Cet atelier concernait les écoles en milieu défavorisé. Ici également, on nous a présenté un côté pessimiste de la situation actuelle des écoles en milieu défavorisé qui touche 200 000 élèves ainsi que 1/3 du personnel enseignant, suivi d’un message plus positif et des choses qui ont été mises en place qui ont porté fruit. Il parle dans un premier temps des politiques qui ont été mis en place en lien avec les inégalités dans les milieux défavorisés et les constats de ceux-ci. Premier constat, Jacques Tondreau, sociologue et directeur de l’action professionnelle et sociale à la CSQ, affirme que l’école ne peut pas tout régler. L’école ne peut pas à elle seule éliminer les inégalités qui existent concernant les écarts dans la réussite des élèves en milieux défavorisés comparativement à ceux de milieux plus aisés. M. Tondreau rappelle que le taux de décrochage en milieu défavorisé est de 26 %. Les politiques n’ont pas été un succès, car les objectifs manquaient de clarté et ils étaient trop ambitieux pour la capacité des écoles. De plus, la gestion est beaucoup trop lourde pour mener à bien les objectifs sans compter que les décisions sont concentrées entre les mains des directions. Il faut également prendre en considération qu’il n’y a pas une école défavorisée qui est similaire. Deuxième constat, les politiques d’intervention dans les écoles en milieu défavorisé ont de nombreuses lacunes. La plus grande de ces lacunes est le fait qu’on ne sollicite pas le personnel travaillant sur le terrain. Ce sont les personnes qui connaissent le mieux la réalité et les besoins et on les ignore ou on les sous-utilise. M. Tondreau a également mentionné que des mesures efficaces, dont l’aide alimentaire, ont été abandonnées. Néanmoins, des points positifs ont été apportés dans la seconde partie de cet atelier a fait mention des réussites de certaines écoles en milieu défavorisé. Effectivement, certaines d’entre elles ont permis de faire réussir de nombreux élèves qui avaient des problématiques multiples. Pour que la situation change dans les écoles en milieu défavorisé, le travail doit d’abord et avant tout se faire en amont. Il faut changer les conditions des familles qui sont dans ces milieux et également travailler de concert avec eux.